Aoshi était assis là, seul au milieu d'une ruelle de Kumo à l'heure où le soleil se cachait derrière l'horizon. Le séant sur une pierre délabrée, la tête entre ces mains plongé dans ses pensées. Il songeait à son passé, et à toutes les erreurs qu'il avait pu commettre depuis sa naissance ; son seul idéal était de les réparer.
Il ne se souciait pas du temps qui passait, et les gens qui marchaient devant lui lui semblaient obsolètes. La rue se calmait au fur et à mesure du coucher de soleil, mais quand la nuit commençait à tomber de manière drue, une forme attira son attention.

De sa main sur son épaule, et par la pièce qui tombait dans sa poche, Aoshi arbora un air étonné. Il ne sut que dire sur l'instant. Il est vrai que son tuteur lui avait enseigné qu'il était malpoli de refuser un présent. Or de la manière dont la pièce avait été jetée lorsqu'il était assis par terre, à ses yeux ceci n'avait rien d'un cadeau. Il décida finalement de ne pas s'attarder sur ce détail, et d'écouter ce que Naya avait à lui dire.

D'un oeil quelque peu gêné il répondit à son interlocutrice, se levant de sa pierre :

Et bien, je te remercie pour ton cadeau. J'espère avoir l'occasion de te revaloir ça. Et bien, maintenant que l'on a engagé la conversation, on m'a dit que c'était primordial de s'intéresser aux gens que l'on côtoie.
Je ne me lamente pas sur mon sort, je pensais, je réfléchissais. En dehors des entraînements et des missions c'est une chose que j'aime faire. Tu souhaites que je marche un peu avec toi ?

L'adaptation à une vie en collectivité était difficile pour ce jeune homme, bien qu'il eut fait des progrès effarants en quelques mois. Sa réputation de garçon à problèmes commençait à disparaître. Il essayait d'être aimable au maximum, en effaçant tout ce qui a pu lui être inculqué auparavant...

Ils s'invitèrent à marcher ensemble, quelques temps sous la lune qui éclairait de son joug argenté le village de Kumo. Un vent léger soufflait agréablement sur le visage d'Aoshi, ce qui le rendait serein, calme. Il marchait en silence, peu à peu il perdait ses pensées pour se concentrer sur la réalité apparente, le présent. A la remarque de Naya, il ralentit et la regarda, perplexe et répondit :

Qu'entends tu par bizarre ? J'essaye pourtant d'être comme le commun des mortels. De me contenir, et de contrôler mes pulsions. Maintenant que je me sens un peu plus intégré dans Kumo.

Ce que disait Naya faisait réfléchir Aoshi par dessus toute chose. Il ralentissait le pas de plus en plus, en pensant au pourquoi de toutes ces choses. Son regard se brisait, et d'une humeur calme et amicale il devint plus pensif, plus sombre, comme si la tristesse avait voilé le gris de ses yeux pour les rendre noirs comme la nuit. Quand Naya s'arrêta pour lui parler, il ne s'arrêta pas, mais passa lentement à ses côtés, en répondant :

- Oui j'essaye de contrôler tout ce que je dis et ce que je fais. J'essaye de devenir comme les gens que je croise, un garçon "normal". A vrai dire, je crains ma véritable personnalité, le mal qu'elle peut me faire, donc je me cache derrière le masque que j'essaye de façonner. J'ai du mal à en parler, je ne sais pas si je gagne mon compte là dedans, mais je ne veux pas continuer à vivre comme j'ai vécu.

Puis finalement, il se retourna vers elle en esquissant un sourire :

- J'ai juste envie d'être un type comme les autres, avoir de l'humour, sortir, m'amuser... J'espère pouvoir devenir un de ceux là. C'est à ça que tu penses quand tu sors la nuit ? Aux gens, à ce que l'on est vraiment au fond de soi ?

Au final ils continuèrent à marcher, lui ne se souciait plus de rien aux alentours. Ses réflexions lui envahissaient la tête, et le remettaient en cause. Sans cesser ni ralentir ses pas, il répondit alors :

Compatir est une marque de faiblesse, c'est la décadence de l'homme. Seuls les plus forts s'en sortent, c'est la seule chose que j'ai appris. Je ne veux absolument pas qu'on me plaigne, voilà pourquoi j'essaie de me fonde dans la foule. Je pense qu'on ne se comprend pas mutuellement ce soir ; m'est avis que nous sommes deux personnes radicalement différentes. Mais peut-être as tu raison, après tout... Nous sommes assez jeunes pour pouvoir changer de directive à tout moment. J'ose espérer que cette vie me conviendra.
C'est vrai que la monotonie serait insupportable de la sorte, j'ai aussi beaucoup de mal à m'en sortir.

Aoshi finit par s'arrêter sur place, net et dit d'une voix solennelle :

Je voudrais comprendre comment on peut vouloir vivre au dépend des autres, retrouver ce sentiment. Serais tu prête à me frapper de toutes tes forces, s'il te plaît ?

Cette demande fut accompagnée d'un petit sourire, sûrement incompréhensible. Mais le rictus y était, Aoshi lui même n'était pas sûr de savoir ce qu'il demandait, mais il le voulait.

Aoshi vit que Naya avait été troublée par ce qu'il venait de lui demander. Il fallait avouer que la chose n'était pas vraiment naturelle mais lui y sentait une utilité, voire une nécessité. Elle s'était collée à lui, ce qui lui fit éprouver un certain gêne. Les moments de proximité qu'il avait pu avoir avec une femme étaient rares comme de l'or blanc, or, il ne voulait exprimer aucun malaise, et tenta de rester impassible, comme pour se prouver à lui même qu'il pouvait réagir comme un garçon de son âge. Cependant, aux remarques, de Naya, qu'il trouva presque déplacées il ajouta.

- Je ne veux aucunement rire de ta force ou la tester. C'est la haine que tu mets dans le coup que je veux connaitre. Frappe donc, où tu le désires, n'hésite pas. S'il te plaît, prends ça comme une faveur que je te demande.

Il ne bougea pas, et ne lâcha pas Naya du regard, le bleu défiant le gris, sans aucune retenue.

Elle avait frappé, d'un coup qui se fit ressentir chez Aoshi, à froid sans préparation préalable. Même s'il était dur de définir ce qu'un coup pourrait aider quelqu'un, celui ci pourrait apporter son lot de réponses. Mais son attitude changea du tout au tout, son regard se fronça et son parler n'était plus du tout le même :

- Ha ! J'aime ça. Tu n'as pas retenu ton coup, mais tu n'as pas visé où ça faisait mal. Choix intriguant. Si je suis impassible, c'est qu'on ne m'a imprimé jusqu'au sang, t'as du le remarquer. J'en devinerai peut être le style de vie qui m'est vraiment adapté. Vivre comme tous les autres moutons, dans l'illusion d'un bonheur, ou bien en solitaire, en se détachant de la masse, vivant au dépend des autres. Je me dis que t'as peut être raison, puisque je n'aurais moi même pas retenu mon coup...

Le regard gris s'était considérablement assombri et semblait empli d'une colère de jadis, ainsi que d'une grande tristesse. Mais il détourna les yeux pour regarder le ciel, qui semblait l'apaiser, et dans cette noirceur sa voix se tut.

La conversation allait toucher à sa fin, l'heure se faisait tardive, mais pour Aoshi le sommeil n'était pas de la partie. Sur les dernières paroles de Naya, il finit par répondre en quittant la lune des yeux pour se replonger dans le bleu des pupilles de son interlocutrice et ajouta :

- Oui, nous nous recroiserons sûrement. Et quelque chose me dit que ce sera plus tôt que nous ne l'imaginons tous les deux. A bientôt...

Et sur ses mots, il poursuivit sa marche, s'éloignant de Naya, sans se retourner sans rien dire de plus...